Par les temps qui courent, ça fait du bien de se retrouver au milieu d'une foule qui scande "vi-ri-li-té a-bu-si-ve". Ça calme, ça soigne, à défaut de vacciner. Et c'est presque meilleur encore quand le slogan est d'abord un refrain et la foule le public d'un concert.
Hier soir, il y avait de la ferveur pour le premier concert en Suisse d'Eddy de Pretto, dans l'écrin exiguë de la Cave du Bleu Lézard. Mais une ferveur ni dupe, ni aveugle. Comme une communion sans illusion, une adhésion instinctive pour une brève prestation où Claude Nougaro se frottait à Frank Ocean, influences revendiquées d'un musicien qui se définit volontiers comme la cage d'escalier entre le hip-hop et la variété.
Mais plus que l'ADN musical, c'est le propos qui importe ici et sa portée. On pense à Stromae, autre musicien sur le fil des genres, mais aussi à Edouard Louis, écrivain imbriquant origines sociales et orientation sexuelle. Des interrogations qui affleurent dans les chansons du premier EP d'Eddy de Pretto, de Beaulieue à Fête de trop, en passant bien sûr par Kid et son refrain tel un slogan salutaire.
"Vi-ri-li-té a-bu-si-ve". Quelques pieds scandés dans un lyrisme autotuné, constat froid et vibrant. Homophobie, sexisme, domination masculine, les thèmes rares en chanson se frottent à la gueule de bois de l'époque, ses lendemains d'hier, ses errances brumeuses, ses injonctions (contradictoires ou non) et en creux sa solitude poisseuse. Mais de briser soudain la mélancolie ambiante d'un "Danse!" lancé sans mépris ni cynisme.
Armé d'un micro et de son Smartphone, épaulé par un batteur à la frappe sèche, Eddy de Pretto impressionne, malgré quelques petits soucis techniques, fascine par son flow biberonné à la chanson réaliste et ses lyrics qui convoquent Achille et Apollon, où les "contrées roses" sont "néfastes pour de glorieux gaillards", où "complètement banal" devient "con, tellement malade". Et derrière les premiers sommets entendus sur disque, de nouvelles chansons tout aussi puissantes et poignantes (mention à Jimmy, jouée hier pour la première fois). Comme la promesse d'une révélation en voie de confirmation expresse.
L'émergence d'une voix, surtout, qui fédère une certaine jeunesse, mais pas que hier soir. Et pour moi, le soulagement, le bonheur même d'entendre s'élever une voix masculine loin des clichés et des contre-pieds tordus, ceux-là même qui ont gangrené tant de chroniques et de billets d'humeur ces dernières semaines, dans le sillage de l'affaire Weinstein et de ses suites. Je ne sais pas si Eddy de Pretto fera école. Mais je ne peux que conseiller à beaucoup de mes congénères mâles - mais pas que - d'écouter son Kid qui déconstruit si bien cette identité masculine toujours plus fantasmée.
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