"What is so fragile even saying its name can break it? Silence."
Siri Hustvedt
Au commencement était le Verbe, comme dirait l'autre. Ou le cri, plutôt, primal, porte d'entrée au langage à venir qui allait le bannir, ou presque. Heureusement, est venue l'onomatopée, témoignage sonore du cri puis de toutes sortes de bruits, devenue graphique grâce à la bande-dessinée.
Du craquement du tonnerre à la porte qui grince, en passant par l'aboiement du chien ou l'ampoule qui s'allume, quelques majuscules suffisent à rendre le brouhaha qui nous entoure, qu'il soit objectif ou subjectif. Quitte à refaire le coup de Babel, l'onomatopée n'aimant rien tant qu'à varier d'une langue à l'autre, tel le coq, qui fait COCORICO en français, KIKERIKI en allemand et COCK-A-DODDLE-DOO en anglais.
L'onomatopée, Christian Marclay s'y intéresse depuis une trentaine d'années. D'abord à sa manière d'un patient glaneur, déchirant, scannant et agrandissant des morceaux de comics, avant de les recomposer, puis en démiurge lettré, croisant pop-art et action painting pour des toiles vibrantes et colorées, qui évoquent autant Pollock que Lichtenstein. Et où l'onomatopée semble ne faire plus qu'un avec le geste qui l'a propulsée là.
Entre ces deux branches d'une même obsession, d'autres approches encore, du kakemono (rouleau japonais) à la traque poétique des onomatopées quotidiennes. Slogans publicitaires, noms de marques (Tic Tac) ou messages universels (le shh... à accrocher à la porte de sa chambre) sont ici ramenés à leur essence même. Logique pour un artiste qui n'aime rien tant qu'à s'emparer d'un objet - ou d'un concept - commun pour en faire autre chose. Quitte à le confisquer au grand cirque marketing pour le ramener dans le giron de l'art.
Réunis pour la première fois à l'Aargauer Kunsthaus sous l'intitulé Action, ces travaux sur les onomatopées emmènent paradoxalement l'oeuvre de Marclay vers un monde nouveau: celui du silence. L'artiste américano-suisse qui a collaboré avec John Zorn et Sonic Youth, joué au DJ bruitiste avec des vinyles de toutes sortes ou encore remonté des extraits de films hollywoodiens (Telephones, The Clock) a choisi de couper le son, pour la première fois.
Mais le silence ne dure qu'un temps. Et c'est là qu'Action réussit son plus beau tour. D'une salle à l'autre, impossible de ne pas scander en soi ce qui est exposé sur les murs, de ne pas murmurer ce qu'on y lit. A la manière des onomatopées de Bardot sur le refrain du Comic Strip de Gainsbourg, une mélodie accompagne le visiteur. Jusqu'au final explosif, l'animation vidéo Surround Sounds, boucle façon sons (subjectifs) et lumières (objectives).
L'effet est bluffant, tourbillonnant. Et renforce encore le contraste qui attend le visiteur au moment de quitter l'exposition, via une ultime pièce où Marclay reproduit en une série de tableaux un détail d'une photographie de Warhol. Ce détail? Le panneau "SILENCE" qui surplombait la porte menant à la chaise électrique de la prison de Sing Sing. Un silence puissant et glaçant. Quasi assourdissant.
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