"Ah! Si cela pouvait changer; si c’était moi qui toujours
devais rester jeune, et si cette peinture pouvait vieillir!"
Oscar Wilde
C'était l'événement de la fin de l'année 2015: le grand retour de Star Wars, ressuscité par l'alliance inattendue entre Walt Disney (nouveau proprio de LucasFilm) et JJ Abrams (déjà sauveur de la franchise Star Trek). Impossible d'échapper au 7ème épisode de la série, servi par une campagne promotionnelle titanesque et une critique unanime, quasi dithyrambique. On allait voir ce qu'on allait voir. Et oublier la piteuse deuxième trilogie (les épisodes I à III, donc).
Alors on a vu. Et en effet, on est plus proche ici de l'esprit des premiers films (les épisodes IV à VI, donc). Si proche, d'ailleurs, qu'on aurait presque envie de parler de reboot, voire de remix, tant le scénario du Réveil de la force semble calqué sur celui d'Un nouvel espoir, dans les trajectoires de ses héros comme dans ses rebondissements.
Attention, spoilers.
Un droïde porteur d'un fichier de la plus haute importance recueilli par une jeune femme qui rêve d'ailleurs sur une planète sableuse. La découverte en elle d'une Force qui lui permet de commander les esprits les plus faibles et d'hériter d'un sabre laser. Un méchant Jedi masqué au service d'un tyran à la tête d'une armée de stormtroopers et doté d'une arme géante capable de détruire des planètes. Des forces rebelles et un vieux coucou capable de passer en vitesse lumière lancés à l'assaut de la forteresse pour tenter de détruire l'arme géante avant qu'elle ne détruise leur planète
La ressemblance est assez bluffante, non?
Remarquez, à en croire les bandes-annonces subies avant ledit Réveil de la force et quelques films estampillés 2015 vus dans un avion pour San Francisco, la tendance tient moins du trend que de la lame de fond. Les martiens d'Independence Day qui reviennent 20 ans après, les dinos de Jurassic Park plus grands, plus forts, plus méchants dans Jurassic World ou encore Point Break (oui, Point Break) sauvé des eaux à l'ère de la GoPro, Hollywood ne s'embarrasse plus de grand-chose et reproduit à outrance sans qu'on ne sache plus vraiment s'il s'agit de remakes, de sequels ou de reboots.
Et si la logique de tout ça tient sans doute à une sombre histoire de tiroir-caisse, pas sûr que l'offre précède pour autant la demande. Entre des millenials désireux de découvrir sur grand écran des films d'un autre temps qu'ils ont érigé en totems et une génération X mélancolique d'une époque où le rêve était encore permis, la nostalgie est l'une des valeurs les plus partagées du moment. Même si on préfère souvent ne pas dire son nom. Quitte à faire semblant de voir du neuf dans du vieux.
Le risque, à force, c'est de devenir conservateur. Ou pire, réac. Et c'est là peut-être le seul véritable coup de génie du Réveil de la force: offrir sa propre méta-analyse par le biais d'un de ses personnages principaux.
Attention, spoilers (bis).
Dans le rôle du nouveau grand méchant, on découvre ainsi un millenial (Kylo Ren) qui s'oppose à ses baby-boomers de parents (Han Solo et Leia Organa). Ou plutôt un jeune réac qui se révolte contre l'héritage de géniteurs révolutionnaires (les pourfendeurs de Dark Vador et consorts). Jusqu'à rêver de rebâtir à l'identique l'Empire - ici rebaptisé Premier Ordre - son Empereur et son Etoile de la mort. La nostalgie devient alors imitation voire reproduction, portée par une vision moins contemporaine que conservatrice.
Un conservatisme qui, aux vues des profits records que devrait amasser Le réveil de la force, est pleinement partagé par des millions de spectateurs à travers le monde. S'ils ne souhaitent bien sûr pas la victoire du Premier Ordre, cet engouement pour un film façon décalque à peine adapté à l'époque participe de la même rupture avec une génération de cinéastes inventeurs d'un nouveau genre de blockbusters.
A défaut d'inventer - ou même de réinventer - reproduire avec de nouveaux visages offre une certaine illusion de nouveauté. Et surtout une seconde jeunesse aux fans de tous âges, comme replongés en adolescence au moment de s'enfermer dans la salle obscure. A la façon d'un Dorian Gray cinématographique: les films vieillissent, radotent et se répètent, laissant en échange l'illusion de la jeunesse à leurs spectateurs.
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