Je ne sais pas si Micah P. Hinson se souvient de son précédent concert à Lausanne. Mais moi oui. J’étais de ceux qui l’avaient agacé en lançant des "Yi-ha!" enthousiastes entre les morceaux. Un ultime cri au moment du rappel l’avait braqué, invectivé ensuite par un spectateur jusqu’au clash, le doigt d’honneur suivi des talons, fin abrupte pour un set bancal au possible.
Hier soir au Bourg, il y avait également quelques cris maladroits dans la salle. Mais pas de quoi déstabiliser le musicien texan, plus enclin à la répartie qu’à la bagarre désormais. Soutenu sur scène par un bassiste et un batteur, Micah P. Hinson s’est fait un point d’honneur à revisiter son deuxième album, Micah P. Hinson & The Opera Circuit, "front to back", sans zèle ni nostalgie. A la place, une tension fragile souvent, crispante parfois, une énergie primale et une sincérité à fleur de peau, pour un numéro d’équilibriste constamment sur le fil.
Mais le cowboy binoclard tient le choc et slalome, moins souple que miraculé, le porte-cigarette vissé aux lèvres sans que sa diction marquée ne s’en ressente vraiment, la voix grave et éraillée comme si elle avait 3 fois ses 36 ans. Les instrumentations rêches et rachitiques du trio rock originel vont plutôt bien à la dizaine de chansons composant cet album jubilaire, déroulé en un set d’une petite heure, tordu et apaisé à la fois. Et de quitter une première fois la scène.
On espère alors une chanson en rappel, deux peut-être, puisées au meilleur, si l’on ose. La suite dépasse largement ces modestes attentes. Comme regonflé, Hinson transforme le rappel en un second set inespéré où il égrène certaines de ses plus belles mélodies, de Beneath The Rose à On The Way Home (To Abilene), en passant par Close Your Eyes. Surtout, la langue se délie, l’ambiance se détend presque (je dis bien presque) et contre toute attente le Texan semble heureux de dérouler ce second set. Jusqu’à cet aveu: avec le temps, il a accepté que certaines des chansons qu’il déteste le plus soient celles que son public aime le plus.
Une parfaite rampe de lancement pour Don’t You Forget, sans surprise l’une de ses chansons que j’aime le plus, exécutée avec une intensité rare, jusqu’au final enlevé et puissant, galop électrique indépassable. Seul le chaos sonique de How Are You Just A Dream? peut conclure après ça, entre maelström saturés et larsens assassins. L’incandescence lo-fi en point final… croit-on.
Car Micah P. Hinson revient une nouvelle fois, seul – le batteur déjà au bar, le bassiste en train d’installer le stand merch – prêt à offrir encore plutôt qu’à en découdre. Quelques ballades éparses, quelques histoires douloureuses mais sans pathos, une tentative avortée de reprendre John Denver et un dernier sursaut, magnifique The Fire Came Up To My Knees. A chaque nouveau silence, on a craint le morceau de trop, mais à chaque fois était à l’oeuvre cette grâce étrange, qui semble protéger parfois celles et ceux qui se sont brisés trop souvent, comme une aura discrète. Un dernier merci, touché, un fan plus bruyant et aviné qu’il prend dans ses bras, et Micah P. Hinson tire sa révérence, après presque deux heures de concert.
Alors bien sûr, ça n’était pas parfait. Bien sûr. Mais il y avait hier soir au Bourg une sincérité, une énergie, une dangerosité même, sur le fil du rasoir, comme on n’en voit peu dans le flot ininterrompu des concerts qui s’enchaînent. C’est pour ça, je crois, que je préférerai toujours la modestie des salles de concerts aux rutilants festivals et leurs programmes minutés. C’est pour ce genre de moments, surtout, que je vais encore voir des concerts, moins souvent qu’hier certes, mais toujours avec la même passion. Et l’espoir d’y trouver ce qu’on ne trouve pas ailleurs. Ce qu’on manquerait pour toujours sinon. Et ce qu’on n’oubliera jamais.
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