
"I'll let you be part of my dream,
if I can be part of yours"
Bob Dylan said that
"I'll let you be part of my dream,
if I can be part of your reality"
I said that."
Sophie Hunger's Blues
C'était il y a tout juste 10 ans. Une enveloppe épaisse au courrier et dedans une lettre et un disque. La lettre d'un lecteur que je ne connaissais pas et qui depuis est devenu un ami. Le disque d'une chanteuse que je ne connaissais pas et qui aujourd'hui est une star en Suisse et ailleurs aussi. Merci Michael de m'avoir fait découvrir Sophie Hunger, "le secret le mieux gardé de la scène suisse" comme je l'écrivais à l'époque, un nom sur toutes les lèvres désormais. Et un peu plus encore depuis jeudi.
Car jeudi soir, Sophie Hunger a reçu le Grand Prix suisse de musique, succédant au Young God Franz Treichler et à l'hautboïste Heinz Holliger. Un titre un poil ronflant pour une distinction qui participe d'une volonté de la Confédération de primer annuellement des artistes dans plusieurs disciplines, du théâtre à la danse, en passant par le cinéma. Et qui est dotée de 100'000 francs. De quoi offrir une belle liberté à sa lauréate. Et alimenter quelques polémiques aussi.
En Suisse alémanique, le Tagesanzeiger titre "Schon wieder sie" ("Encore elle") et s'interroge sur le bien fondé de couronner une artiste déjà largement récompensée et qui aurait moins besoin de cet argent que d'autres. Comme si le Grand Prix suisse de musique était interdit aux musiciens à succès ou à l'abri du besoin. Exit le pionnier mais millionnaire Dieter Meier? Exit le toujours créatif mais trop célèbre Stephan Eicher? Difficile à imaginer. Ou alors il faudrait changer le nom du prix.
Surtout, c'est oublier qu'il s'agit bien d'un prix et non d'une subvention (même si cela peut y ressembler). On ne couronne pas une carrière ou une création récente. On n'y présente aucun projet. On n'y candidate même pas. C'est un jury qui choisit, selon des critères plutôt ténus et assez flous, et si l'on veut discuter, mieux vaut peut-être interroger les règles plutôt que leur verdict. Et éviter de tirer sur les lauréats, grands gagnants ou non (car les autres nominés ne repartent pas les mains vides, 25'000 francs chacun).
Tandis que j'écris ces lignes, j'écoute Monday's Ghost. Je me souviens du temps, du travail et de la pression qui entouraient ce deuxième album attendu au tournant, passeport pour la gloire ou trappe vers l'oubli. A l'époque, j'avais écrit plusieurs articles sur Sophie Hunger, j'étais allé la voir en studio, l'avait suivie en concert aux quatre coins du pays et mon rédacteur en chef imaginait que j'étais amoureux d'elle pour en faire autant. Moi, j'étais juste persuadé d'avoir croisé la route d'un talent comme on en voit rarement dans ce pays. Et que la suite serait plus forte encore.
Aujourd'hui, je reste fasciné par l'équilibre si fragile qui traverse Monday's Ghost, sur le fil entre limpidité et minutie, entre le succès qu'il a rencontré et la délicatesse de l'écriture, des arrangements, des ambiances qui l'habitent. Shape, Walzer für niemand, Spiegelbild, Rise and Fall, autant de chansons parmi les plus précieuses de la musique suisse récente, sur l'un des disques helvétiques les plus vendus du XXIème siècle. Une oeuvre sans concession, comme le seront tous les disques de Sophie Hunger qui suivront, qu'on les aime ou non.
C'était il y a tout juste 10 ans. Sketches On Sea comme un carnet d'esquisses, riches de quelques perles déjà, entre Bob Dylan et Cat Power. Et l'année dernière cette Supermoon digne de Nick Drake. Le talent hier, la consécration aujourd'hui, et entre deux tant de travail, patient, invisible, intransigeant. Le succès tient à ça, aussi. A ce parcours unique par ici, récompensé jeudi. Et à cette fidélité à un rêve obstiné et à la musique qui va avec. Je me réjouis des 10 années à venir.
© Photo: Schweizer Musik Preis - Lauren Pasche
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