"Le masque tombe, l'homme reste et le héros s'évanouit."
Serge Gainsbourg
Je me souviens de ma première rencontre avec Will Oldham. C'était il y a un peu plus de 7 ans, dans le salon d'un hôtel londonnien, au lendemain de l'investiture de Barack Obama. Le musicien américain se pliait, pour une fois et de bonne grâce, au dictat de la promo, à quelques jours de la sortie de Beware, son... disons son xième album, le dixième (ou onzième, difficile à dire) sous le pseudonyme de Bonnie 'Prince' Billy, après s'être caché plusieurs années durant derrière le sobriquet Palace (au choix Music, Brothers ou encore Songs).
Evidemment, ce goût du nom d'emprunt donna lieu à une question durant l'interview. Et Oldham d'expliquer sa démarche par le besoin de séparer la chanson de celui qui la chante - "Je préfère que les gens restent accrochés aux chansons, sans trop les personnifier." - manière de se créer un personnage, mais à la façon d'un super héros, dont "on peut changer les scénaristes ou les modes d'expression tout en conservant le personnage."
Une profession de foi qui colle plutôt bien à la musique du barbu de Louisville. Depuis une quinzaine d'années, elle semble en effet en constante mutation, comme si chaque disque voyait à l'oeuvre un nouveau scénariste - ou des scénaristes, vu le goût du monsieur pour la collaboration. Country détournée ou ripolinée, folk rachitique ou élégiaque, rock tortueux ou plus nerveux. Sans parler de cet art tout personnel de la reprise, des hits d'autruis (stars R'n'B, vedettes de Nashville, contemporains à succès) à son propre répertoire.
De quoi se régaler, se gaver même, mais de quoi se perdre aussi, surtout pour qui ne connaîtrait pas sur le bout des doigts son alphabet oldhamien. Et pas question de compter sur les maigres pseudo-compilations du bonhomme pour refaire son retard. De l'exercice façon Nashville Bonnie 'Prince' Billy Sings Greatest Palace Music au live (très) mal enregistré Summer In The Southeast, en passant par le concert avec choeur folklorique Is This The Sea?, le bonhomme a l'art de brouiller les pistes, quitte à décevoir parfois, car oui, tout n'est pas forcément bon dans le vieux jambon - old-ham (pardon) - même s'il y a du très bon souvent.
C'est à ce très bon - enfin, une partie de ce très bon - que le tout frais 'Pond Scum' rend justice. Et avec la manière. 12 chansons de Will Oldham, certaines nouvelles, certaines oubliées, certaines classiques mais dans des versions inédites sur disque, le tout enregistré lors de différents passages dans les studios de la BBC. Dépouillés à l'extrême, certains morceaux gagnent en magnétisme (en tête les 2 titres extraits de Get On Jolly), tandis que les plus vieux titres de l'époque Palace gagnent en ampleur et en assurance, sans perdre la tension et la fragilité qui font leur force (formidable Stable Will).
Seul ou épaulé par David Heumann (magnifiques backing vocals sur Death To Everyone), Oldham est à son sommet d'interprète. La voix est pleine et fêlée à la fois, les intonations portées par une justesse confondante, les mélodies pures, poignantes, bouleversantes (O How I Enjoy The Light, à pleurer). Sans surprise ni esbrouffe, loin du besoin si constant de se réinventer, ces quelques enregistrements mis à bout à bout réussissent cette prouesse rare: composer un album essentiel pour les fans du Monsieur, en même temps qu'une porte d'entrée idéale pour ceux qui ne le connaissent pas encore. Will Oldham y est Will Oldham, tout simplement. Et pour le meilleur.
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