"Un peu d'Oscar Wilde, un peu Dorian Gray.
Quelques lueurs froides et un air glacé."
Serge Gainsbourg
Je crois que le premier disque de Bowie que j'ai acheté, c'était Outside, à l'automne 1995, un peu avant une compilation de ses plus grands succès. J'avais 15 ans et le nom de l'Anglais résonnait comme un sésame vers un firmament que j'imaginais à peine. Surtout, il y avait l'excitation d'aimer une icône au présent plutôt qu'au passé, quand tant d'autres étaient muettes ou bégayantes.
Quelques mois plus tard pourtant, malgré Heart Filthy Lesson, I'm Deranged ou Hallo Spaceboy, je me laissais rattraper par la nostalgie, captivé par un bootleg d'un concert à Santa Monica, ramené de mon premier voyage à Londres. J'aimais Bowie au passé et ne pourrais qu'être déçu en le découvrant sur scène enfin, lors de la tournée d'Earthling, Heroes et Jean Genie cédant trop vite la place à une drum'n'bass mal adaptée aux scènes des grands festivals.
Je n'ai jamais revu Bowie sur scène depuis. Et sans doute que je ne le reverrai jamais. Mais j'ai beaucoup réécouté Outside. Jusqu'à en faire l'un de ses albums auxquels je reviens le plus, avec Low et Station To Station. C'est cette facette du musicien que je préfère. Son versant expérimental, aventurier, osant quitter son piédestal, sans filet.
Il y a 3 ans, j'ai peu goûté à son retour inespéré et à ce Next Day trop confortable à mes oreilles. Sauf le temps d'un titre, Heat, hanté, suffocant, digne de Scott Walker, musicien respecté, révéré parfois par Bowie, qui lui a fait découvrir Brel et communiqué un peu de ce goût pour l'aventure et le jusquaboutisme musical.
Une chanson, une seule, comme une promesse d'avenir. A venir. Ou non.
Et aujourd'hui, voici Blackstar, renaissance artistique qui suit de 3 ans le retour à la vie discographique. Plutôt que vieillir sur son piédestal, Bowie ose le grand saut à nouveau, se libérant du carcan de son propre mythe comme de la tyrannie des formats pop qui le retenaient au sol depuis presque 20 ans et ce diptyque Outside / Earthling.
A l'image du morceau éponyme, labyrinthique, flirtant avec les dix minutes, nappes électroniques et sonorités jazz cohabitent ici, ciselant un canevas dont Bowie se joue, y ajoutant des sonorités plus rock ('Tis A Pity She Was A Whore), flirtant même avec le post-punk et la new-wave (Lazarus), déconstruisant et transfigurant des sonorités familières, comme s'il fallait revisiter ses classiques pour défricher de nouveaux horizons.
Surtout, il y a ce chant, qu'on croirait par instants revenu à Berlin, aux heures de la trilogie, habité et hypnotique, entre textes cryptiques et psalmodies quasi mystiques. Lorsque les instrumentations s'apaisent, sur la seconde moitié du disque, c'est lui qui porte l'ensemble, comme en suspension, laissant aux ornementations une place plus discrète, mais précise, toujours aventureuses.
Et puis il y a ce saxophone, omniprésent. Le premier instrument de Bowie, son obsession, ici entre les mains de l'Américain Donny McCaslin, puissant, remuant, dissonant. Un saxophone comme le fil rouge de ce 25ème album studio, auquel il donne tout son relief. J'ai toujours détesté cet instrument dans le rock. Sauf chez Bowie. Le seul à toujours avoir cru en lui, de Sounds And Vision à Modern Love, de Walk On the Wild Side à Sue (Or In A Season Of Crime).
Pour peu, je serais prêt à y croire moi aussi. Comme je crois en Bowie. Au présent, à nouveau.
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