"I was dressed for success,
but succes it never comes."
Pavement
J'ai toujours pensé que ce serait la météo qui aurait la peau du For Noise. Une pluie glaçante à la fin du mois d'août, cloîtrant les potentiels festivaliers dans leurs chaumières, transformant le site en bain de boue apocalyptique. Mais les dernières éditons du festival pulliéran furent plutôt clémentes. Et la dernière ensoleillée, même. Enfin, l'avant-dernière, vu que tout s'arrêtera l'année prochaine. Oui, vous avez bien lu.
Au moment d'écrire l'un de mes derniers articles pour Bon pour les oreilles, il y a quelques mois de ça, je me faisais déjà la réflexion: le ton nostalgique avec lequel je parlais du For Noise donnait à la chose des airs d'oraison funèbre. Car ce n'était pas un secret, cette édition peinerait à faire le plein. La faute à une programmation moins éclatante qu'à l'habitude, moins événementielle, mais pas seulement.
Avec le temps et la prolifération des festivals et des salles dévolues à l'indie-rock, on avait un peu oublié le statut de pionnier dont pouvait se targuer - aux côtés de quelques autres - le petit festival de Pully. Et avec lui son identité, son ADN, bien qu'un peu malmené ces dernières années. Car l'émotion ne doit pas faire oublier les faux-pas, d'un partenariat avec Google (pardon, Uber) à une tribune VIP comme une verrue sur le côté de la scène, en passant par des Silent parties charriant leur lot de danseurs solitaires au milieu de concerts qui n'en demandaient pas tant.
Reste qu'aujourd'hui, ce sont surtout les bons souvenirs, nombreux, qui reviennent.
Cet amour de la pop et du rock indés, d'abord, qui aura permis de voir en vrai des artistes qui ne jouaient nulle part ailleurs en Suisse romande, ou presque, à une certaine époque. Car si aujourd'hui des mammouths aux festivals plus secrets, on se bat pour les artistes adoubés par Pitchfork ou Les Inrocks, ce n'était pas une évidence il y a 20, 15 ou même 10 ans.
Son ambiance unique, aussi, mi-branchée, mi-bucolique, plus locale qu'internationale, presque familiale, toujours bon enfant. Bien sûr, certains vous diront que tout cela était très lausanno-lausannois, certes, mais quitte à se retrouver une fois l'an pour boire des verres entre amis, mieux vaut le faire devant un bon concert qu'au Comptoir suisse.
Et des bons concerts, il y en a eu. Chacun retiendra le sien. Deerhunter dans la fournaise de l'Abraxas, Puts Marie faisant sauter les plombs du De Movie Salon, Franz Ferdinand dans la folie d'un vendredi soir, The National en route pour la gloire, Mercury Rev sous une pluie torrentielle, Lambchop dans un froid de canard.
Le mien, ce sera pour toujours la reformation de Grandaddy, un soir où Patti Smith était tête d'affiche. La joie de voir enfin sur scène un groupe tant aimé et écouté. Et le bonheur de voir tout autour de moi, dans les premiers rangs, des visages connus, le sourire vissé exactement comme le mien. Ce soir-là, le For Noise avait touché au génie, conviant un groupe totem de l'indie-rock, comme un symbole d'une époque. En rappel, Grandaddy avait entonné sa reprise du Here de Pavement, autre groupe totem du genre, et son fameux "I was dressed for success, but success it never comes."
Avec une météo clémente et quelques soirées sold out, on avait peut-être oublié que le succès n'est jamais acquis. Qu'il avait fallu se battre pour en arriver là, mais que le combat n'était pas fini. Et que ce qui est arrivé à d'autres pouvait aussi arriver à nos festivals. On aurait pu faire mieux, mais on a déjà bien fait. Pour tout ça, merci à toutes celles et ceux qui ont fait ce festival.
Le For Noise s'éteint sans oublier de dire au-revoir. Le 20 août prochain, il y aura une dernière soirée. Une soirée de concerts, pas une Silent party. Et j'espère bien revoir tous ces visages. Ceux des apéros. Ceux des concerts. Et ceux de Grandaddy. La fête sera belle. Et la fin aussi.
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